Immersion merveilleuse
dans le dernier Goncourt

Pas de poupée russe : je ne vous embarquerai pas dans une critique immersive de La plus secrète mémoire des hommes. Pas besoin, puisque ce roman est en lui-même une immersion totale : dans la littérature, dans l'horreur du colonialisme et de la Shoah, en Afrique, dans Paris, et dans les divers esprits des protagonistes.

Par San Makar

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Immersion merveilleuse dans le dernier Goncourt

Retenez bien son nom : Mohamed Mbougar Sarr. Après Terre ceinte, Silence du chœur et De purs hommes, ce jeune auteur signe son quatrième roman, remportant au passage le Goncourt 2021. Et pour cause: La plus secrète mémoire des hommes est une prouesse menée par une véritable immersion polyphonique, convoquant habilement plusieurs voix dans la narration. Sans accompagner le lecteur, il absorbe tout de même pour aborder les grands enjeux de la littérature contemporaine mais aussi des thématiques telles que le colonialisme ou la Shoah.

L'enquête d'un auteur sur un auteur

Le pitch ; un jeune écrivain sénégalais, Diégane Latyr Faye, enquête sur un autre écrivain sénégalais, qui a eu son heure de gloire avant de disparaître mystérieusement suite aux critiques de son ouvrage. Celui qui fut surnommé par le "Rimbaud nègre" était l'auteur en du "Labyrinthe de l'inhumain", publié en 1938 et dont les exemplaires ont été détruits . Si le personnage est totalement imaginaire, il n'est pas tout à fait irréel puisqu'il est inspiré d'un figure de la littérature, le malien Yambo Ouologuem, autrefois récompensé par le prix Renaudot. Il avait été accusé d'avoir plagié Graham Greene et André Schwarz-Bart.

La présence d'une enquête tient le lecteur en haleine malgré les jeux littéraires de l'auteur. Un écrivain qui recherche un écrivain, c'est non seulement un prétexte pour faire de la grande littérature, mais également l'occasion de décortiquer le rapport des auteurs à celle-ci. Par une narration interne et parfois changeante, on plonge dans les grands débats qui animent Paris et les auteurs africains, on est convié à assister aux désirs et aux ambitions des résistants de la littérature, et on voyage à travers l'espace et le temps, de Paris à Amsterdam jusqu'au Sénégal et en Argentine, mais aussi de la Première Guerre Mondiale à la Seconde, jusqu'aux années 80 et, enfin, à nos jours où tout s'enclenche et tout se démêle.

Un labyrinthe émotif

En effet, l'écriture mêle le récit, le journal intime, les articles de presse et les courriels pour se lancer à la poursuite d'un fantôme, T.C Elimane, l'auteur du fameux Labyrinthe. Le roman revêt justement l'aspect d'un labyrinthe, à mesure que le personnage va tenter de découvrir quel fut véritablement la nature de l'existence de son prédécesseur, en voyageant à travers le monde et en rencontrant les femmes qu'il a aimées, ou en traversant l'histoire.

Émotionnellement, je me suis fait avoir. J'ai souri pour le passage du crucifix, j'ai été excité par Siga, j'ai été captivé par T.C Elimane. Rarement, le prix Goncourt fut aussi mérité. Et il est bon de voir un tel ouvrage faire de la concurrence aux romans de gare, dans les vitrines, depuis le mois d'aout 2021... Je me demande encore comment, alors que les récits s'imbriquent les uns dans les autres avec une intensité rare, ce funambule de Mohamed Mbougar Sarr est parvenu à retomber sur ses pattes.

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