William Burroughs :
le bourgeois décadent

Un portrait de l'écrivain Burroughs, le chef de file de la Beat Generation, signé par l'auteur San Hajaji.

Par San Hajaji

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William Burroughs : le bourgeois décadent

J'avais déjà signé un portrait d'auteur avec Bukowski. Cette fois, je reviens en m'attaquant au grand William S. Burroughs, l’écrivain qui a su le mieux décrypter l’univers de la dope avec une écriture à la fois chirurgicale et fiévreuse. Il faut le dire : l’œuvre de Burroughs est une véritable plongée dans les abîmes de la psyché du camé.

Chef de file de la Beat Generation

Impeccable dans son costume trois pièces, Burroughs pourrait tout avoir du vieil homme de lettres, mais son regard teinté d’une noirceur abyssale témoigne d’un esprit tourmenté et révolutionnaire, avide de bouleverser les codes en vigueur. Nous sommes dans les années 50 et la Beat Generation est ce mouvement artistique qui entend libérer les mœurs d’une société figée dans le passé. Et Burroughs incarne ce désir de liberté. Très tôt, il rompt avec son éducation bourgeoise pour embrasser une vie de bohème faite d’errance et d’une consommation effrénée de drogues.

Il sombre alors dans les profondeurs de la déchéance, passant des mois entiers enfermé dans les chambres miteuses de patelins paumés. Mais il écrit et cherche, avant tout, à produire quelque chose de neuf. Une écriture totalement libre, fruit de l’inconscient. C’est là qu’il crée le fameux cut-up : technique littéraire visant à découper un texte original en fragments afin de les réarranger en un texte nouveau. Ce qui différencie Burroughs de nombre d’artistes et qui a fait de lui une icône de son vivant, c’est qu’il est allé plus loin que tous les autres dans l’exploration des ténèbres. Il s’est totalement abandonné à son art sans aucun filet de sécurité, en quête perpétuelle d’une créativité sans bornes.

Une œuvre hallucinatoire

Junky décrit avec une précision au scalpel le mode de vie du drogué. Pour l’auteur, il s'agit surtout de sanctifier le contrôle qu’exerce la dope sur l’individu. En effet, ce qui intéresse Burroughs, c’est la manière dont la drogue modifie la conscience. Il n'est alors qu’aux prémices de ses découvertes. Il faut attendre* Le festin nu* pour prendre la pleine mesure de cette transformation. Dans ce roman surréaliste, l’écrivain expérimente ainsi une écriture sous héroïne et cocaïne. Le résultat : les visions cauchemardesques d’un toxico. Des phrases déstructurées, hachées, maltraitant la forme traditionnelle à laquelle le lecteur était jusqu’alors habitué. Le fond de l’histoire est une zone nébuleuse impossible à définir. Plusieurs réalisateurs tentèrent, sans succès, l’adaptation cinématographique. Seul David Cronenberg réussira l'exercice en 1991.

L’apport de Burroughs dans la littérature moderne est considérable. À l’instar de Louis-Ferdinand Céline qui a introduit le langage parlé, Burroughs, lui, nous a fait connaître le langage de l’inconscient. Comment s'opère véritablement la pensée lorsqu’elle n’est plus bridée par les carcans de la société. Burroughs, c’est l’individu dépouillé des artifices. C’est l’esprit à l’état brut. Nombreux sont les artistes qui ont voulu se rapprocher de lui afin de profiter de ses lumières, et de sa connaissance aiguisée des méandres de la dépendance aux drogues. C’est le cas, par exemple, du leader du groupe Nirvana, Kurt Cobain, qui trouve en Burroughs un véritable père spirituel et auquel il adressa une lettre d’amour pleine d’une sincérité touchante. Outre son œuvre, il faut aussi visionner le documentaire A Man Within consacré à l’auteur pour mieux saisir ses tourments intérieurs, sa volonté de briser « les esprits oppresseurs » qui emprisonnent l’Homme.

Excursion dans les coulisses de la folie

Vous l’aurez compris, William Burroughs est l’écrivain qui a fait sortir la littérature classique de ses gonds. Il a ouvert la porte à des univers parallèles. Des univers aux confins de l’inconscient. Des univers qui sillonnent la vallée des ombres. Les personnages de Burroughs ne sont pas des âmes damnées mais des esprits frappeurs à la lisière de la folie. Les accrocs aux drogues n’y trouveront aucun réconfort mais plutôt un miroir réfléchissant. C’est la réalité crue du tox dépeinte avec une lucidité glaciale. Ce qui peut générer chez le lecteur une sorte de malaise, et même un profond dégoût. Face à la vérité, le réveil est toujours brutal et Burroughs fait figure de prophète annonçant le chaos à venir. Passé le premier shoot, c’est la gangrène poisseuse de la drogue sur le corps et sur l’esprit. La déliquescence de l’individu repoussant ses limites toujours plus loin. C’est l’Homme nu dans une société obsédée par l’idée de contrôle, perdant tour à tour ses illusions sur la liberté.

C’est pourquoi dans ses romans, il n’y a jamais de rédemption, de lueur d’espoir. Ses héros sont enfermés sur eux-mêmes, incapables de se départir de leurs névroses. Burroughs pourrait se résumer en une phrase, le fameux adage de Nietzche : « C’est l’abîme regardant l’abîme. »

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