Un Neverland un peu trop promis
Avec moi dans le lot, tous les fans de mangas s'en souviendront, pour le meilleur ou pour le pire. Après des allers-retours tantôt physiques et tantôt métaphoriques dans leur prison d'enfants, les protagonistes de The Promised Neverland ont atteint le bout de leur aventure. Cette série japonaise ne manquait pourtant pas de potentiel, au contraire. L'engouement de ses premiers tomes en avait fait l'un des nouveaux grands shonens à succès, alors que Demon Slayer émergeait tout juste. En fin de compte, l'œuvre écrite par Kaiu Shirai et illustrée par la formidable Demizu Posuka s'est éteint par une déception. Divisé en trois tiers, je retiendrai tout de même le premier, et nous allons commencé par là.
Dis leur que j'ai pas l'temps...
Le premier chapitre, d'abord. Il a eu un succès immédiat pour son excellent concept.
Son premier chapitre a notoirement fait parler de lui (d’aucuns diraient qu’il a « agité la toile ») et son concept est effectivement redoutable. Emma et ses amis, tous orphelins, ont été placés à Grace Field, un établissement d'accueil, lorsqu'ils étaient tout jeune. Bien que leur liberté soit limitée et que les règles soient parfois un peu strictes, ils mènent une vie agréable tous ensemble et la femme qui s'occupe d'eux est généreuse. Cependant, une question anime Emma et tous les autres : pourquoi n'ont-ils pas le droit de sortir de l'orphelinat ?
On aurait pu s'attendre à une métaphore géante du monde des idoles, mais il s'agit en vérité d'un élevage condamné à être dévoré par des à des créatures huamnivores. Des "démons sapio", oui oui, ça s'appelle comme ça. Emma, celle à l'enthousiasme incessant, Ray, un ténébreux qui ne manque pas de pragmatisme, et Norman, plus génie des enfants, comprennent que même « Maman », leur gardienne, est dans le coup. Ils décident donc de s's’évader et d'emmener le plus d’enfants du pensionnat avec eux, une idée lancée dès la fin du premier tome.
Le succès est immédiat et retentissant. Articulé autour de cette évasion, premier arc de The Promised Neverland est mené d'une main de maître. Pour cause : le style graphique de l'excellente Demizu Posuka qui porte le récit, instaurant une atmosphère un brin gothique, quelque part entre les premiers films de Bayona et les récits victoriens. Je vous recommande d’ailleurs de consulter ses réseaux sociaux et son artbook, où, à notre plus grand plaisir, elle déploie sa surprenante imagination. L'illustratrice s'emploie autant à des tableaux métaphoriques qu'à dessiner des matrices et jouer avec les espaces et les perspectives, ce qui aura de l’importance pour la conclusion du manga. Ce succès s'explique également par l'ambiance narrative on ne peut plus lourde et oppressante, où la menace est permanente et la nécessité de fuir est étouffante.
Attention, on commence le spoil dès maintenant avec la façon (en même temps prévisible) dont s'achève le premier tiers. Le trio de tête, devenu aussi emblématique qu'Harry, Ron et Hermione, rencontre sont lot traditionnel contraintes jusqu'à ce qu'enfin, l'arc touche à sa fin et ils se retrouvent dehors, par delà les murs. Par cette idée de murs, je glisse un petit clin d'œil à l'Attaque des Titans, à croire que l'enfermement derrière des murs illusoires est une thématique à succès parmi les mangas de notre génération, qui ne cachent pas s'inspirer du concept de Matrix.
Mon esprit vise ailleurs...
Les deux autres parties de The Promised Neverland ont donc un problème : l'univers n'est pas prémédité et l'auteur ne savait pas initialement où il allait se rendre, contrairement à l'Attaque des Titans que nous avions cité plus tôt. Ainsi, voilà ce qu'il advient : les joyeux bambins évoluent, survivent, et se lancent à la recherche de la solution qui pourront les permettre de vivre en harmonie dans le milieu des humains, en ségrégation du le monde des démons — dans lesquels ils sont nés et enfermés suite à la « promesse » éponyme.
L’heure de dérouler les codes et l’histoire de ce monde, d’ajouter une dimension supplémentaire au récit, et de dérouler un arc parfaitement superfétatoire qui ne fait que doubler le nombre de personnages. Le thriller psychologique des débuts est totalement effacé au profit d’action un poil programmatique. À mi-chemin, ce n’est plus du tout la même chose, on ne peut pas lui enlever ça. Mais la qualité du récit en pâtit, les enjeux et l’implication du lecteur aussi.
Pas de plans pour s'en sortir
Le dernier tiers est un véritable foutage de gueule. Là-aussi, il y a de l'Attaque des Titans, puisque tout est bouleversé mais sans grandes raisons. Les personnages, leurs morales, leurs motivations, tout fluctue d’un chapitre sur l’autre. Les accidents de ton sont trop nombreux, les potards poussés parfois trop loin - la subtilité des débuts est effacée. Tout va trop vite, parfois trop lentement. Ça tourne un peu en rond, ça verse dans le gore quand c’est déplacé, et le récit se repose trop sur un enchaînement de twists pratiques, qui ont une fonction évidente de colmatage du récit. Pas d’effacement de mémoire, cette fois (quoique…) mais une histoire de sang maudit, des rédemptions express et automatiques, et une capacité à multiplier les effusions de joie pour faire oublier les trous.
Bref : trop vite et trop lent à la fois. Le récit a systématiquement du mal à créer de réelles conséquences pour ses personnages — et quand il a osé montrer les choses une première fois, on décode très vite quand quelque chose est définitif ou non. Le fandom ne manque pas de le faire remarquer depuis la fin de publication originale au Japon, l’été 2020.
En gros
J'ai kiffé, j'ai moins kiffé, j'ai encore moins kiffé, mais au final, je me souviens que j'avais kiffé au départ. Voilà, en bref. Les 20 tomes sont écrasés par le poids d'un démarrage explosif, et ne savent pas se cantonner à ce niveau par la suite. The Promised Neverland sera donc divisé en trois tiers, particulièrement distincts, mais à qualité décroissante. D'autres ont su s'arrêter au bon moment puisque le récit a été trop gourmand et n'a pas su se taire quand il le fallait. À sa conclusion, le lecteur n'est plus impliqué comme au début. Mais encore une fois, comment donner suite à un récit d'évasion ? C'est une sacrée impasse. Dommage, mais cela n'efface pas l'excellente direction artistique et l'enthousiasme communicatif qui émane initialement de la série.