Jim Morrison : l’ange déchu du Rock
D'abord, Paris
Jim flâne le long des quais, s’abreuve dans les bistrots, en quête d’inspiration. L’alcool et les drogues l’ont physiquement ravagé. Son allure féline n’est plus qu’un souvenir. Il a pris du poids, beaucoup de poids, et il arbore une longue barbe hirsute de prophète des catacombes. Jim va mal. Le succès l’a vidé de son énergie vitale. Il n’a pas choisi Paris par hasard : c'est le lieu de tous les vertiges des poètes maudits. Là où ses frères d’âme hantent les vieilles rues pavées de la capitale.
C'est fini, le leader des Doors ne veut plus chanter. Cet art est beaucoup trop superficiel à son goût. Ce qu'il veut, c'est écrire. Explorer les tourments du cœur humain. Alors, il se laisse dériver aux côtés de sa dulcinée, Pamela Susan Courson, et il fait des rencontres fortuites, surtout la nuit, quand les ténèbres se déploient. Un documentaire s’intitulant Jim Morrison : ses derniers jours à Paris en accès libre sur YouTube prend la température de son état mental en ces temps ultimes. Mais la fatigue émotionnelle de Jim prend racine dans un constat glaciale : la véritable écriture nécessite un investissement plus profond. Ce à quoi il aspire, c’est d’arriver à une pureté aussi crystalline qu’un Rimbaud ou un Baudelaire, pour ne citer qu’eux. Alors, il essaie tant bien que mal d’ouvrir les portes de son esprit. De laisser son passager noir prendre les commandes. Mais le résultat n’est pas à la hauteur de ses attentes. De brèves fulgurances pas assez solides pour construire une œuvre. La mélancolie prend le dessus. Morrison s’oublie dans les drogues, et dans le whisky, cher à son cœur.
Paris devait établir sa renaissance, ce sera le lieu de son tombeau.
Le crépuscule d’une idole
Le dernier album des Doors, enregistré avant son départ, fait un carton aux U.S.A. tandis que Jim, lui, sombre peu à peu dans une dépression carabinée. Ses amis et les membres de son groupe veulent qu’il revienne, mais Jim s’entête. Il ne reviendra pas, et plus encore : il mourra quelques temps après.
Les circonstances de sa mort sont douteuses jusqu’à aujourd’hui. Malgré les nombreuses hypothèses, on ne sait pas bien ce qu’il s’est passé. Est-il mort dans son bain ? Ou à l’Alcazar suite à une overdose ? Un voile semble flouter la réalité. Mais une chose est sûre, il en est en partie responsable. À la lecture de ses poèmes, on réalise combien Jim était trop dur avec lui-même.
La nuit américaine est un bijou de poésie surréaliste, sondant les artères de la nébuleuse de Los Angeles. À titre personnel, Seigneurs et nouvelles créatures est mon recueil préféré car il cartographie avec une précision chirurgicale la société de spectacle dans laquelle nous vivons aujourd’hui.
Alors voilà. Jim restera ce prophète de l’ombre. Une seule image à retenir, celle de la couverture du Best of des Doors, bien connu du grand public : une pose christique, à la fois, solennelle et provocatrice. Jim est mort en poète, l’âme tourmentée par ses visions hallucinatoires. Jim est mort en idole, intégrant le très select et prestigieux club des 27. Jim est mort et le monde pleure un artiste grandiose dont les mots chargés de symboles donnaient à voir une autre réalité, à ouvrir les portes de la perception façon Aldous Huxley. Enterré au Père Lachaise, le lieu est devenu, aujourd’hui, culte. Les ados en mal de vivre s’y recueillent, cherchant dans leurs prières faites au grand maître du Rock, la force d’affronter ce monde sclérosé. Tout un arsenal romantique décore la tombe. Bougies dégoulinant de cire, bouteilles d’alcool, joints écrasés, feuilles volantes froissées noircies au Bic noir.
Les grands artistes continuent d’exister longtemps après leur mort. Parfois, ils deviennent immortels. C’est le cas de Jim Morrison. Sa musique n’a jamais été autant d’actualité. C’est, sans doute, pourquoi depuis quelques temps, les hommages se multiplient sur la toile et dans la presse. Fan de la première heure, je ne pouvais, moi non plus, échapper à cet embrasement. Je me devais d’apporter ma pierre à l’édifice. Désormais, c’est chose faite.