Le futur c’est maintenant ?
Le 11 décembre 2012, Holidays of Future Passed (le Futur Passé), 9ème épisode de la 23ème saison des Simpsons, est diffusé aux États-Unis. L’opus se déroule en 2041, les enfants ont grandi et la famille la plus déjantée d’Amérique se prépare à célébrer Nöel. On découvre que Lisa à des relations plus que fraîches avec sa fille Zia. Excédé, l'aînée des filles Simpson est bien décidée à renouer les liens avec sa progéniture. Petit hic, Zia passe ses journée littéralement branché à l'ultranet, un dérivé futuriste d’internet qui permet de surfer dans une réalité virtuelle plus vraie que nature. Ça ne vous rappelle rien ? Est-ce que cet ultranet ne ressemble pas furieusement au promesse du Metaverse ? Ce ne serait pas la première fois que Matt Groening, créateur de la série, nous prouve qu’il n’a rien a envié à madame Irma. Mais nous n’y sommes pas encore. La technologie du Metaverse en est encore embryonnaire. Elle a pourtant ouvert la boîte à fantasme. On se met à rêver (ou à cauchemarder) d’une nouvelle révolution numérique qui renverse totalement les codes de la vie humaine ou notre téléphone entend à l’infini le champ des possibles. Où en un simple clic depuis notre canapé nous pourrions non seulement travailler, mais aussi s’amuser, sortir, trouver l’amour, bref explorer le vaste monde... Et pas comme les réseaux sociaux le permettent déjà, mais avec un réalisme sensationnel flirtant avec le réalisem. Fantasme ou réalité ? Pour San et pour vous, j'ai mené l'enquête.
Un concept infini
"Au-delà de l’univers” ! Littéralement, c’est ça la Metaverse. Un univers au-delà de notre réel, une troisième dimension, une réalité alternative. De quoi mettre en ébullition la geekosphère et éveiller la curiosité (l’inquiétude ?) de nous autres profanes. Ce barbarisme futuriste intrigue. Pourtant, il est loin d’être récent. Il va même souffler sa trentième bougie en juin prochain. Il est l'œuvre du romancier américain Neal Stephenson. Dans son livre, Le Samouraï virtuel paru en 1992, l’auteur imagine un monde de demain où les hackers ont accès à un univers numérique : le Metaverse. Quelques années plus tard, ce monde parallèle va dépasser la fiction pour devenir réalité. En 2003 Linden Lab lance Seconde Life : une plateforme qui met à disposition un monde virtuel où les utilisateurs incarnent des personnages qu’ils ont eux-mêmes créés. Toujours perdu ? C’est normal. En réalité, le Metaverse n’est pas une technologie mais un concept. Et un concept infini dont on ne connaît pas encore l'entièreté du potentiel.
“Le Metaverse, c’est un Far West numérique”
Définir le Metaverse aujourd’hui c’est comme essayer de définir internet dans les années 90. Mais pour l’instant ce qu’on entend par Metaverse, c’est une extension des potentialités de l’individu dans la vie de tout les jours grâce à des technologies comme la Réalitée Virtuelle (VR) ou l'Intelligence Artifcielle (AR). L'anthropologue Fanny Parise explique : “Si vous voulez participer à une réunion, faire du sport ou vous divertir, vous allez avoir le choix de le faire via le monde réel ou le monde digital.”
Pour comprendre le Metaverse, il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin. L'univers virtuel est plus qu’une extension de notre réalité ; c’est une vision, une utopie qui active notre imaginaire collectif comme la conquête spatiale en son temps. D’aucun le présente comme un nouvel “Eldorado” à conquérir. Fanny Parise met en garde contre cette vision idyllique : “ Le Metaverse, c’est un Far West numérique. Est-ce qu’on va avoir des règles d'utilisation ou une législation ?". C'est déjà le cas avec les NFT, qui permettent une propriété intellectuelle virtuelle.
Jusqu'à peu, le Metaverse restait tout de même un concept inconnu du grand public. Un événement fortuit l'a révélé au monde. Une cochonnerie de virus communément appelé Covid-19 qui a provoqué une satanée pandémie et un confinement généralisé. "Évidemment, la démocratisation du Metaverse est apparue comme une réponse possible à la crise Covid. Quand le temps s’allonge et que l'espace se réduit, il faut bien trouver une solution pour continuer à vaquer à ses occupations, qu'elles soient personnelles ou professionnelles. Le Metaverse a apporté de la cohésion et a été porteur d’un imaginaire qui est très positif” analyse l'anthropologue. Une arrivée en fanfare sur le devant de la scène, voilà de quoi attiser l'appétit des grandes sociétés de la Silicone Valley. L'entrée des GAFAM dans la danse ne simplifie pas l’équation et nous renvoie à des problématiques très actuelles.
Le nouveau terrain de jeu de Zuckerberg
Le 28 octobre 2021, Mark Zuckerberg, fondateur et PDG de Facebook annonce en grande pompe la petite révolution de son entreprise : dorénavant elle s’appellera META. Plus qu’une simple coquetterie nominale, ce changement marque un tournant pour la mère des réseaux sociaux. La nouvelle ambition du pape de la Silicone Valley est de faire de sa boîte une entreprise de Metaverse. Son projet ? Inviter l’internet de demain. Imaginez un peu : vous êtes attablés au Starbucks en pleine session de de télétravail. Soudain, vous butez sur un problème, vous avez besoin de l'expertise d’un de vos collègues. Aucun souci, vous n’avez qu'à faire apparaître son hologramme, il sera tout près de vous, au café. Bienvenue dans le monde de “Zucky”.
Un univers Zuckerbergien qui risque d'aggraver des problèmes déjà posés par les réseaux sociaux : protection des données, modération, privatisation de la politique ou de notre vie quotidienne. Pour madame Parise, l’avènement du Metaverse participe de l’accélération de la téchnofédalisation de notre société : “c’est un concept qui explique qu’un nombre d’entreprises réduit est en train d’établir une emprise sur bon nombre de secteur de la vie quotidienne. Comme il n’y a plus de modèle contradictoire, c’est difficile de se dire que ce n’est pas la seule solution que ce soit pour des entreprises privées qui participent à créer ce monde virtuel tout comme pour une extension de la vie réelle.”
La parade serait-elle dans le projet de notre président-candidat ? Dans sa longue, très longue, trop longue, conférence de presse de présentation de programme pour la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron lâche que : “Nous nous battrons pour bâtir un Metaverse européen.” Assommés par quatre heures de propositions plus technocratiques les unes que les autres, les journalistes présents aux Docks de Paris, sont à moitié endormis et ne réagissent pas. Mais les initiés eux tiltent rapidement : un Metaverse européen, quesaco ? Cédric O secrétaire d’Etat au numérique s’occupe du service après vente sur BFM TV : “ce n’est pas un Metaverse tel que vous allez le voir chez Meta, mais plutôt que la création de moteurs graphiques à partir de logiciels”. Donc, non il n’y aura pas de Metaverse battant du pavillon de la bannière étoilée des vingt-sept. L’idée est plutôt de soutenir les entreprises européennes pour qu'elles puissent jouer dans la même cour que les grandes entreprises de la tech. L’objectif : ne pas rater le coche comme on l’a fait avec la révolution internet dans les années 90. Pour Fanny Parise, le Metaverse européen ou le META de Zuckerberg, c’est blanc bonnet ou bonnet blanc : “ Le metaverse européen est un projet politique. Il s’inscrit dans l’idéologie de la start-up nation, qui prône le mythe du progrès, qui est une réponse parmi d'autres à la question de l’urgence climatique et à l’évolution des modes de vie. Objectivement qu’on soit sur un Metaverse GAFAM ou européen, c’est exactement la même chose.”
La peur de la Dystopie
"Dystopie", le mot est lâché. La peur d’un monde futuriste apocalyptique et autoritaire dont Hollywood est friand. Voilà la grande peur des détracteurs de l'univers virtuel : celui d’une société contrôlée par des multinationales où le contact physique ne serait plus qu’un lointain souvenir et lien social réduit aux interactions de nos avatars. Un programme alléchant pour certains et effrayants pour d'autres, déjà exposé dans le film Ready Player One de Speilberg. Le 4 novembre dernier, l’essayiste écrit dans le journal Libération : “Il faut s’attendre à ce que, tel une sorte de vortex digital, il aspire le plus clair de nos vies. (...) attendons-nous à ce qu’une bonne vieille loi terrestre, bien réelle, immuable, continue d’y prévaloir et de régler le sort des avatars que tous nous serons devenus : la loi du plus fort.” Un monde parallèle dans une réalité virtuelle où règne l’anarchie est-il un futur possible ?
Pour Fanny Parise cette vision apocalyptique n’est pas à l’ordre jour, du moins à moyen terme. Selon l'anthropologue une grande partie de la population va utiliser le Metaverse comme complémentarité de la vie réelle : “on à des amis qui vivent à l’autre bout du monde, c’est trop compliqué de les voir, et le Metaverse peut être une solution comme les réseaux sociaux ont pu l’être pendant le premier confinement.” Au-delà de cette majorité, elle imagine une polarisation de la société : “On va avoir des individus plus extrêmes qui vont dématérialiser l’ensemble de leurs interactions sociales. Effectivement, eux auront l’impression d’être dans une société du contact via cette utopie virtuelle. Dans les faits ils seront davantage isolés dans la vie physique. On peut aussi avoir des individus qui sont réfractaires à cette virtualisation de leurs modes de vie et qui, par signe de résistance, vont refuser d’aller sur ses territoires virtuels. Ainsi, il y aura toujours un monde réel !”
À la fin que reste t-il ? Des questions. Beaucoup de questions. Les angoisses sont-elles fondées ? Les fantasmes se réaliseront-ils ? Reste, une certitude, nous ne sommes qu’au début de l’aventure. Seul le temps parlera.