Kurt Cobain : l’ange des âmes perdues
Kurt, pour les intimes,. Dès son enfance, le leader du groupe mythique Nirvana est une âme déjà brisée, éparpillée en mille morceaux tel un puzzle, fragmentée comme une comète qui explosera en plein vol à l’aube de ses vingt-sept piges. D’entrée, autant le dire tout de suite, cher lecteur ou chère lectrice, j’éprouve une grande admiration pour ce mec. Oui, ce mec. Car je ne crois pas qu’il aurait aimé qu’on lui donne du Monsieur vu son pedigree. Il incarne, pour moi, ce que se doit d’être tout artiste. Il est débarrassé du superflu, de la guignolerie et de la fanfaronnade. Ses tripes, il les fait jouer sur sa guitare sèche, Mister Cobain, les fait chanter de sa voix caverneuse, de sa voix d’outre-tombe. Ce dont nous parle Kurt, c'est justement de l’innocence perdue des premiers Hommes, du paradis perdu, de l’enfer sur Terre.
Une enfance et une adolescence sous le sceau de la crucifixion
Il est issu d’un milieu modeste. Un père mécanicien, une mère au foyer. Ne rentrons pas plus avant dans ces détails superflus et purement indicatifs. Il grandit dans un patelin paumé dans les coins reculés de Seattle. Dans ces villes fantômes et poussiéreuses, ces No Man’s Land, qui carburent au rythme des industries de toutes sortes d’où s’échappent des fumées qui vous carbonisent le cœur et la peau. Et il y pleut sans arrêt, le ciel y est gris comme la robe dégueulasse d’un pigeon qui boufferait des miettes de pain près d’un caniveau, et il n’y a rien à foutre mis à part traîner sa flemme et sa mélancolie sur un bout de trottoir ou en déambulant sur le macadam froid, en se shootant ou en fumant un bédo, histoire d’oublier ce monde qui n’est déjà plus un monde. Après ça, comment se construire une vie ? C'est le spleen total façon Baudelaire des temps modernes. Kurt se réfugie alors dans la musique, non pas pour devenir une Star ou tutoyer ces dieux factices de la célébrité, non, il se réfugie dans la musique pour tenter de supporter le poids d’une existence maudite, un peu plus pesante chaque jour qui passe. Alors, évidemment, quand le succès lui tombe sur le coin de la gueule, non seulement il n'y est pas préparé car il ne l’a jamais vraiment souhaité mais en plus, il le mode de vie "sexe, drogues et rock n’roll" de l’artiste maudit lui colle à la peau. Kurt n'a de cesse de s’afficher sans pudeur aucune à la téloche ou sur les panneaux publicitaires XXL qui longent les routes démesurées et glauquissimes des villes désertées. On en a fait une icône malgré lui et ça, mes amis, ça change diamétralement la donne. Faut dire que le mec avait tout de l’ange déchu, avec ses faux airs de Jésus-Christ ou d’archange Gabriel. Mais si vous voulez connaître au plus près l’artiste, effleurer son mal de vivre de clodo abandonné à son propre sort sous un pont sombre et craquelé, une seule chanson à écouter : The Man Who Sold The World donnée lors du concert cultissime MTV Unplugged.
Courtney Love, son poison
Au départ, c’est une simple groupie qui gravite autour des musicos puis, la rencontre fatale se fait. Elle l’entraîne avec elle dans les soubassements de l’enfer existentiel, au niveau moins dix, là où même le vent ne siffle plus et que même les rats fuient. Héroïne, alcool, joints, tout est bon à prendre pour se déconstruire, pour se détruire. Une théorie circule depuis sa mort : Kurt ne se serait pas tiré un coup de carabine en pleine tronche, il aurait été assassiné. Les artistes valent toujours plus chers une fois morts. Oui, toujours. Et le doute persiste encore aujourd’hui. Courtney n’en a cure, elle s’en délecte, tout du moins en apparence, et provoque les médias à coups de doigts d’honneur bien placés. Autre théorie, Kurt Cobain ne supportait pas son public dans lequel il ne se reconnaissait pas. D’où cette impression que l’on a quand on l’écoute chanter dans ses concerts, l'impression d’un type aux abois, presque forcé de pousser la chansonnette. Il aurait le sentiment viscéral d’être devenu une sorte de clown sur lequel s’extasie un public dévoré par les néons qui aveuglent l’icône qu’il est devenu malgré lui. Au fond, il aurait certainement préféré, et de loin, vivre dans une bourgade reculée du fin fond des États-Unis, à l’abri dans un Mobil Home, en compagnie de sa femme et de sa fille. Voilà son bonheur, simple comme bonjour. Mais Kurt est allé trop loin, il s’est brûlé les ailes et a rejoint le club sélect des vingt-sept. C’est la mort qu’on célèbre, ni plus ni moins. Et sa collaboration avec la mort laisse derrière lui un ange, sa fille. Une vie gâchée, en somme. Un talent monstre qui avait encore de quoi nous nourrir l’âme de cette vérité cinglante :
Nous sommes seuls au monde, mon ami.